mardi 30 octobre 2007

L'opposabilité et la portée de la coutume en droit international

L’opposabilité et la portée de la coutume internationale

La coutume est un élément transversal du droit international. Elle fait partie intégrante du droit inter étatique et y jouit même d’une place particulière.

La coutume représente le droit non écrit, et par cet aspect, elle se différencie des traités, actes des organisations internationales ou toute autre norme écrite.

Ainsi, la coutume résulte de pratiques généralement admises, par l’ensemble de la communauté internationale, comme étant une règle de droit. Ces normes informelles apparaissent, en fait, par des pratiques entre Etats, à la suite d’un processus plus ou moins long.

La coutume internationale est donc largement hétéroclite et son origine a été l’objet de nombreux débats doctrinaux.

En effet, sur ce point, deux théories s’affrontent :

D’une part, la théorie volontariste, qui perçoit la coutume comme l’expression d’un accord conclu entre diverses autorités de droit international. Cette thèse, sera notamment reprise par l’arrêt de la Cour Permanente de Justice Internationale, LOTUS (1927). En effet, dans cet arrêt, la Cour indique que la coutume est une règle de droit issue de la volonté manifestée dans les usages, et acceptée généralement comme consacrant un principe de droit.

Cependant, cette théorie ne fait pas l’unanimité de la doctrine, et reçoit deux principales critiques.

Tout d’abord, cette conception de la coutume à pour effet de minorer la réalité du droit international en la matière.

Ensuite, elle interdirait l’existence de coutumes générales, qui supposeraient le consentement unanime de tous les Etats, accord difficilement concevable.

Ainsi, la doctrine objectiviste, soutenue entre autre par Georges Scelles et Charles de Vissher, s’oppose à la théorie volontariste. Ces auteurs considèrent en effet que la coutume naît d’une réalité sociale. Elle serait donc spontanée et non pas issue de la volonté des Etats.

En ce sens, l’arrêt de la Cour Internationale de Justice, Namibie, 1971, indique que la coutume peut apparaître après un laps de temps qui ne saurait être quantifié.

La coutume est donc une source originale du droit international. En effet, alors qu’elle possède généralement une place réduite en droit interne, où le droit écrit à tendance à primer ; sa place au sein de l’ordre juridique international est privilégiée.

Il s’agit donc de s’interroger sur son domaine d’application, son objet, ses effets, ses incidences ou son efficacité, en d’autres termes, sur son opposabilité et sa portée.

La coutume est donc une règle applicable dans l’ordre inter étatique et dispose d’une large opposabilité (I), mais elle est dans le même temps une norme en perpétuelle évolution, en tant que norme non écrite. (II)


I, L’applicabilité de la coutume dans l’ordre international

Il existe en droit international, deux types de coutumes, soumis à deux régimes différents.

En premier lieu, la coutume générale, qui peut être qualifiée de principe, et est par essence opposable à tous. (A)

Puis, l’émergence du droit régional à également fait apparaître une coutume particulière, qui constitue l’exception à la coutume générale. (B)

A, La coutume générale : une règle en principe opposable à tous

La coutume est dite générale par rapport aux sujets de droit auxquels elle s’adresse. Ainsi, la coutume générale a vocation à s’appliquer à tous les sujets de droit international.

Ainsi, pour leurs être opposable, il n’est pas nécessaire que les Etats, et plus généralement tous les acteurs du droit international, aient consenti à la règle coutumière. Il n’est donc pas non plus indispensable que les Etats aient participé à sa formation par leur comportement.

Par exemple, concernant le droit de la mer, les règles coutumières ont principalement été élaborées par les Etats Occidentaux, mais sont opposables à tous.

Ainsi, pour qu’une coutume lui soit opposable, il n’est pas nécessaire que l’Etat l’ait expressément acceptée. L’attitude de « non rejet » à l’égard d’une règle coutumière induit son acceptation.

Cette règle vaut également pour les nouveaux Etats, qui, même s’ils n’ont pas participé à l’élaboration de la règle coutumière, peuvent se trouver liés par elle lorsqu’ils accèdent à leur capacité juridique internationale.

Mais si le consentement express des sujets de droit n’est pas requis, leur rejet express, quant à lui, produit des effets. Un Etat refusant expressément, et dès sa formation, une coutume internationale, ne sera pas lié par elle. Cette solution a été affirmée par la Cour Internationale de Justice, dans son arrêt du 18 décembre 1951, Pêcheries, ou elle estime que « la règle des dix milles apparaît inopposable à la Norvège, celle- ci s’étant toujours élevée contre toute tentative de l’appliquer à la Norvège.»

En revanche, si l’Etat n’a pas objecté à la règle coutumière, depuis sa formation, il ne pourra pas par la suite, estimer cette coutume comme lui étant inopposable ; et ce, même s’il s’y est opposé ultérieurement. CIJ, Arrêt 20 février 1969, Affaire du Plateau continental de la mer du Nord.

Le consentement express des Etats à être lié par la coutume n’est donc pas nécessaire. Mais se pose alors le problème des nouveaux Etats, qui n’ont pas pu participé à l’élaboration de certaines coutumes, du fait de leur inexistence juridique au moment de sa formation. Ainsi, si ces Etats formulent par la suite leur refus express de la règle coutumière, celle ci leur sera-t-elle opposable ?

Cette question fait actuellement l’objet d’un débat doctrinal, qui oppose objectivistes et volontaristes.

D’après les volontaristes, l‘Etat récalcitrant pourra en effet refuser la coutume et la compétence des juridictions internationales pour empêcher l’application de la règle coutumière à son égard. Cependant, cet Etat pourra faire l’objet de pressions de la part de la communauté internationale, dans le but de largement l’inciter à appliquer la règle, surtout si celle-ci a été acceptée par l’ensemble de la communauté internationale.

Cependant, ces principes ne sont applicables que lorsqu’il s’agit de règles de coutumes générales. Mais le droit international régional à entraîné l’existence de coutumes régionales, qui ne disposent pas des même règles d’opposabilité envers les différents Etats

B, La coutume locale, l’exception à la coutume générale

L’existence de coutumes régionales n’est consacrée par aucun texte en droit international, et la Charte des Nations Unies en particulier n’y fait pas référence. La coutume particulière a toutefois été admise par la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice ; et notamment dans ses arrêts du 20 novembre 1950, Affaire du droit d’asile ; du 27 août 1952, Ressortissant des Etats Unis au Maroc ; et du 12 avril 1960, Affaire du droit de passage en territoire indien.

Alors que pour une coutume générale, la jurisprudence n’est pas trop exigeante quant au consentement, elle semble être beaucoup plus impérative concernant les coutumes locales.

Dans son arrêt Affaire du droit d’asile, la Cour Internationale de Justice établit que l’Etat qui invoque une coutume régionale « doit prouver qu’elle est constituée de telle manière qu’elle est devenue obligatoire par l’autre partie. (…) et que la règle dont il se prévaut est conforme à un usage constant et uniforme, pratiqué par les Etats en question ».

Il paraît donc indispensable que l’Etat qui invoque une coutume locale ait participé à son élaboration et que cette participation traduise une volonté d’être lié par cette règle.

En fait, de part leur nature particulière, ces règles n’ont vocation à s’appliquer qu’à un nombre restreint d’Etat, et il s’agit donc d’être en mesure d’identifier clairement chaque Etat participant. C’est pourquoi la jurisprudence internationale s’est attachée à un consentement express en de pareilles hypothèses

De plus, ces règles ayant une opposabilité particulière peuvent également avoir un contenu spécial, en ce sens, en contradiction avec une coutume générale. Dans ce cas, la Cour Internationale de Justice, dans son arrêt droit de passage en territoire indien indique qu’ «une telle pratique doit l’emporter sur des règles générales éventuelles »

Par cette décision, la jurisprudence établit donc qu’en matière de coutume, les règles nouvelles l’emportent sur les anciennes, et les particulières sur les générales.

Bien que constituant par essence un droit non écrit, les coutumes ont largement fait l’objet de tentatives de codification, qui ont pour objectif principal de poser clairement les normes applicables. Il s’agit donc de s’intéresser à l’effet que peuvent avoir de telles codifications sur des règles par essence informelles.


II, La coutume : une norme en permanente évolution.

Alors que le propre de la coutume est d’être un droit non écrit les acteurs du droit international présentent une volonté constante d’effectuer régulièrement une codification de ces normes coutumières

Le recours à ce procédé de codification permet ainsi un maintien de la puissance coutumière (A) sans pour autant figer son existence et son évolution dans cette règle écrite (B)

A, La codification de la coutume : Un support à sa puissance.

La doctrine est la première à avoir effectué un travail de codification de la coutume On retrouve en effet des codifications individuelles, comme le code de Bluntschli en 1866,ou collectives, comme les travaux de l’Institut du Droit International ou de la Harvard Law School.

Mais cette codification de la coutume par la doctrine ne dispose d’aucun effet juridique. En revanche, lorsque cet effort de codification est retranscrit par des actes d’Organisations Internationales, elles revêtent la portée juridique de l’acte dans lequel elles s’inscrivent. Dans ce sens, par exemple, on pourra citer la Charte des Nations Unies, ou la Convention de Montego Bay, sur le droit de la mer.

De plus, cette volonté de codification de la coutume est à présent d’autant plus importante qu’elle s’inscrit directement dans la charte des Nations Unies. En effet, l’article 13 de ce texte dispose que l’Assemblée Générale peut provoquer des études et faire des recommandations en vue « d’encourager le développement progressif du droit de la codification »

Et suivant cette volonté, un organe des Nations Unies a été créé pour se pencher sur ces questions de codification de la coutume. Il s’agit en effet de la Commission de Droit International.

Les raisons de cette volonté de codification sont la sûreté et la permanence du droit écrit, par rapport au droit coutumier, et ainsi une clarification du droit en vigueur. Mais l’autre raison, plus politique, est de permettre aux nouveaux Etats, qui n’ont pas participés à l’émergence de coutumes anciennes, d’effectuer un réexamen des règles préexistantes. Ainsi, ils pourront les accepter ou refuser expressément, et ne se pose plus le problème de leur refus, postérieur à la formation de la coutume.

En fait, si la coutume connaît un support confortable par la codification, celle ci ne fige pas les règles informelles, qui continuent à exister, en tant que normes non écrites, en parallèle du droit codifié.

B, La coexistence parallèle du droit informel et du droit écrit.

Il s’agit d’étudier l’hypothèse ou la règle codifiée n’est pas conforme à une coutume préexistante. Dans ce cas, la coutume ne s’applique plus entre les Etats membres de la convention, ou du traité, qui reprend la règle contraire à la coutume.

Ensuite, si le traité ou la convention reprend une règle coutumière, cela implique qu’il y a eu un accord de volonté, express, entre les Etats signataires, et donc contrevient au principe d’existence de coutume générale, qui ne nécessite pas une déclaration de volonté à être lié de la part des Etats.

Mais dans ce cas, la règle codifiée n’efface pas la règle coutumière, qui continue a exister, parallèlement à la convention. Cette solution a été exprimée avec force par la Cour Internationale de Justice, dans son arrêt de 26 novembre 1984, Activité militaire et paramilitaire ou elle décide que « Le fait que les principes (…) sont codifiés ou incorporés dans des conventions multilatérales ne veut pas dire qu’ils cessent d’exister et de s’appliquer en tant que principe de droit coutumier, même à l’égard des pays qui sont parties aux dites conventions. »

Ainsi, la codification de règles coutumières ne peut pas les figer, mais allant plus loin, elle peut même être à l’origine de la formation de nouvelles coutumes.

Pour ce faire, la Cour à précisé trois conditions dans l’affaire Délimitation du plateau continental de la mer du nord. Ainsi, il est nécessaire que la disposition servant de base ait« un caractère fondamentalement normatif et puisse ainsi constituer la base d’une règle générale de droit. » Ensuite, la convention doit faire l’objet « d’une participation très large et représentative » Et enfin, « la pratique des Etats » doit « établir une reconnaissance générale du fait qu’une règle de droit (…) est en jeux »

Ces règles seront reprises plus tard par la Cour dans l’affaire anglo-islandaise de la Compétence en matière de pêcherie (Arrêt du 25 juillet 1974)

Ainsi, la coutume est constitutive de règles en perpétuelle évolution, qui ne peuvent être figées par une éventuelle codification. Au contraire, cette codification peut en fait servir comme base à de nouvelles règles.